La politique se joue souvent autant dans les symboles que dans les chiffres. En Saône-et-Loire, le débat de cette rentrée l’illustre avec éclat : les mots mêmes de « France qui travaille » deviennent un champ de bataille idéologique, disputé entre un député Les Républicains et la jeunesse socialiste locale.
L’expression attribuée à Monsieur Martin trace une ligne de fracture claire : d’un côté, une France laborieuse et vertueuse ; de l’autre, « la France qui casse », réduite à la figure du manifestant soupçonné de nuisance. Cette rhétoriqe rappelle les clivages forgés par Nicolas Sarkozy, qui opposait la « France qui se lève tôt » aux assistés. Sa logique est simple : proposer une lecture morale du politique, en marginalisant toute contestation comme illégitime, voire parasitaire.
Mais les Jeunes Socialistes de Saône-et-Loire choisissent un retournement habile. Refusant de disputer la pertinence du terme, ils l’embrassent pour mieux le réorienter : la France qui travaille, affirment-ils, c’est justement celle qui se mobilise dans la rue. Manifester devient l’acte même par lequel le travailleur défend sa dignité et ses droits face à une politique fiscale jugée favorable aux plus aisés.
Ce duel sémantique révèle une fracture bien plus large. Les opposants rappellent l’abstention de Monsieur Martin lors de la motion de censure visant le gouvernement Bayrou, l’interprétant comme une « compromission silencieuse ». Ainsi, le clivage dépasse la simple question d’ordre public. Il devient le théâtre d’un affrontement pour l’incarnation de la valeur fondatrice : le travail.
Cet épisode de Saône-et-Loire condense donc les tensions nationales. Mais il faut aller plus loin. Ce qui se joue ici n’est pas simplement une répétition de la rhétorique sarkozyste ou une réappropriation par la gauche. C’est le symptôme d’une rupture. La gauche ouvrière des années 80, celle de la « force tranquille », n’avait pas besoin de se réapproprier le mot « travail » ; elle en était la définition même, elle l’incarnait sociologiquement et politiquement. Le fait qu’elle soit aujourd’hui contrainte de le reconquérir sémantiquement est le véritable aveu de sa défaite culturelle des trente dernières années.
La droite, elle, a réussi à dissocier le « travail » du « travailleur ». Elle a transformé une valeur collective de production et de dignité en un marqueur individualiste de mérite et de conformité. Travailler, dans ce nouveau paradigme, c’est avant tout ne pas déranger l’ordre économique. C’est pourquoi cette bataille de mots n’est pas un simple débat. C’est le combat pour l’âme d’une République sociale qui a perdu son dictionnaire. Et tant que les mots ne retrouveront pas un sens commun, le dialogue restera un combat, et la politique, une guerre de tranchées sémantiques.
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